Charles-Pierre de Fleurieu et Louis XVI

Louis XVI avait non pas seulement de l'estime pour Charles-Pierre mais beaucoup d'affection pour lui, il l'appréciait car Fleurieu partageait les mêmes passions que lui: la marine, les découvertes, la cartographie…

Le roi le respectait non pas seulement pour ses connaissances, mais aussi pour sa douceur et sa probité, en fait, nous ne risquerions pas trop à dire que Louis XVI et Charles-Pierre se ressemblaient beaucoup par leur caractère et leur intérêt. Le Roi le trouvait très instruit mais peut être un peu trop timide et débonnaire. Ce qui est fort singulier car on pourrait en dire autant de Louis XVI!

 Ils avaient également beaucoup d'amis en communs comme le Comte de La Pérouse et d’Entrecasteaux.

La marine et les sciences occupant la plus grande place dans le cœur de Louis XVI, Charles-Pierre voyait très souvent le Roi et de nombreux projets furent montés ensemble. Le Roi a bien sûr suivit de près la fameuse montre de Berthoud et Fleurieu ainsi que le voyage d’expérimentation ce dernier à bord de la frégate l’Isis.

 A l'occasion de ce voyage, il fit de nombreuses cartes, et en corrigea d’autres, il démontra par là que l’horloge fonctionnait à la perfection.

Les routes de Louis XVI et de Charles-Pierre se sont croisées pour la première fois en décembre 1776 lors de cette présentation officielle du jeune lieutenant de vaisseau.

 Afin de montrer à Fleurieu sa satisfaction, Louis le nomma aussitôt capitaine de vaisseau. Le Roi créa même une nouvelle fonction pour Charles-Pierre : celle de directeur des ports et arsenaux en Janvier 1777.

De 1778 à 1783 Louis confia à Fleurieu toute l’organisation de la flotte et des plans de la guerre d’indépendance des Etats-Unis, une tâche immense, à très forte responsabilité. La confiance de Louis envers Fleurieu devait être de fer pour lui confier un tel projet.

En effet, il n’y avait pas seulement la suprématie navale et le rayonnement de la France en jeu, mais l’éclat voir même la sûreté de la couronne.

Tout cela dépendait des projets de Charles-Pierre et le Roi ne fut pas déçu du travail accompli. La guerre finie, Fleurieu remit un rapport au Roi par l’intermédiaire du Maréchal de Castries. Ce rapport exhortait le Roi à s’engager dans la course aux découvertes contre l’Angleterre.

 

 

 

 

Ci dessus: . Louis XVI le 23 juin 1786, à Cherbourg,

"le Roi marin" stupéfia les officiers de marine de part la pertinence de ses commentaires.

Huile sur toile de Louis Philippe Crepin, château de Versailles.

 

 Il s’agissait de convaincre le Roi qu’après avoir mis en échec l’Angleterre sur le terrain militaire et effectué de grandes avancées scientifiques, il fallait mettre en échec les insulaires également sur le plan des découvertes maritimes et scientifiques. Il fallait un James Cook Français.

Le fameux voyage de La Pérouse se profilait. Non seulement Louis était convaincu, mais il confia une grande partie de l’organisation du voyage de La Pérouse à Fleurieu.

Hélas le temps passait et la correspondance entre l’expédition et Versailles fut rompue en 1788.

Pendant toute cette période, Charles-Pierre de Fleurieu a été le pilier de la marine française, et le véritable architecte d'une grande partie de la politique étrangère de la France. Il a soufflé ses connaissances à la plupart des ministères du règne de Louis XVI en véritable "acteur principal en coulisse". Pour appuyer cette affirmation, l'on peut citer le passage du livre "La Vénus dévoilée par Jacques Blamont p 85:

"Il exerçait des fonctions mystérieuses, honoré constamment de la confiance des Ministres qui se succédèrent dans le département de la Marine: on pense qu'il dirigeait l'espionnage technique de l'Angleterre. Cette Barbouze en chef de Louis XVI, après avoir refusé en 1790 le ministère de la Marine, soutint de son bras Marie-Antoinette le 10 août 1792."

Pour préciser les propos ci-dessus, il est naturel que Fleurieu a conseillé les différents ministres de Louis XVI au sujet de la marine en particulier. En effet, certains Ministres comme Sartine n'entendaient absolument rien à la marine quand ils ont pris leurs fonctions.  En effet, sachant que Sartine avait par exemple surtout des connaissances héritées de son poste de lieutenance générale de la Police, il lui fallait bien quelqu'un pour tout apprendre sur la marine voir diriger ses actions!

La pensée que Fleurieu ait pu faire de l'espionnage est intéressante. Cependant nous n'avons pas assez d'élément pour l'explorer. Ce qui est sûr, c'est que l'influence apparemment secrète de Fleurieu sur la vie politique, à dû alimenter bien des fantasmes... Pour aller dans ce sens, il est vrai que Fleurieu agissait souvent dans l'ombre et correspondait énormément en secret avec les scientifiques et les notables de l'époque dans l'optique de coordonner les politiques du Roi. Nous devons cependant préciser que son poste de directeur des ports et arsenaux lui confiait en particulier ce type de tâches "mystérieuses".

Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle Fleurieu aurait refusé dans un premier temps le portefeuille de la Marine n'est pas vérifiée, mais elle n'est cependant pas totalement absurde étant donné le caractère du marin. Au sujet de Marie-Antoinette, nous y reviendrons plus loin.

La Révolution arrivera trop tôt pour continuer de s’occuper autant de la Marine et de l’Angleterre. Le Roi devait désormais se défendre contre les factieux. Pendant la révolution, Louis XVI n’oublia pas Fleurieu puisqu’il le nomma ministre de la Marine et des colonies le 27 octobre 1790.

Durant son ministère, en 1791,  Louis XVI confia alors une nouvelle tâche à Fleurieu, retrouver leur ami La Pérouse en organisant une expédition de secours. Fleurieu rédigea donc les instructions pour d’Entrecasteaux. D’Entrecasteaux passera au large de l’île perdue de Vanikoro où était La Pérouse, et mourra du scorbut.

Ci dessus: La Pérouse chez les "indigènes".

Dès sa démission du ministère en Avril 1791, le Roi trouva une autre fonction pour Charles-Pierre. La nomination pour ce dernier poste sera sans doute la plus surprenante et la plus grande preuve de confiance et d’affection du Roi pour le marin.

Cette fameuse nouvelle  « affectation » pour Charles-Pierre sera celle de gouverneur du Dauphin de France.
C'est ce poste de gouverneur du "prince-royal" (anciennement appelé "Dauphin") et cette lettre qui lui vaudront 14 mois de prison

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Le 18 Avril 1792.

Chaque ministre reçut un message du roi pour se rendre chez lui à dix heures du matin, ce qui était extraordinaire. Ils arrivèrent, et de la salle du conseil on les fit passer dans la chambre du roi, où ils le trouvèrent avec la reine. Elle prit la parole, et leur dit : « Le roi vous assemble pour une affaire qui m'intéresse. Je suis mère, l'éducation de mon fils est l'objet de tous mes vœux. On ne peut pas nous refuser le droit qu'ont les plus simples citoyens, de choisir les instituteurs de leurs enfants. Nous avons nommé M. de Fleurieu ; il s'agit d'en aller rendre compte sur-le-champ à l'Assemblée. »
Alors le roi tire de sa poche une lettre pour le président, qui lui annonçait cette nomination, et la remet à Duranton , ministre de la justice:

 

LETTRE DE LOUIS XVI AU PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE NATIONALE
 

"Je vous prie, Monsieur le président, de prévenir l'assemblée, que , mon fils ayant atteint l'âge de 7 ans, j'ai nommé pour son gouverneur M de Fleurieu. Sa probité, ses lumières reconnues, ainsi que son attachement à la constitution, ont déterminé mon choix. Je ne cesserais de lui recommander de lui inspirer le bonheur, le respect de la justice, l'amour de la liberté, enfin toutes les vertus qui doivent caractériser le roi d'un peuple libre; de lui dire souvent qu'un roi n'existe que pour le bonheur de tous, qu'appeler à maintenir l'exécution des lois, sa plus grande force pour se faire obéir est de donner lui même l'exemple de cette obéissance. J'espère que mon fils, se montrera digne un jour de la confiance des français, par son amour pour la constitution, son attachement aux lois et son attention constante à tout ce qui peut assurer au bonheur du royaume, l'assemblée nationale reconnaîtra dans ma démarche que je saisis toujours l'occasion d'entretenir l'harmonie qui doit exister entre tous les représentants de la nation."

Louis


Photo: "Louis XVII Donné par lui même à son Gouverneur M de Fleurieu"

Charles-Pierre de Fleurieu n'aurait pas eut suffisamment de temps pour prendre son poste: Antoine François Bertrand de Moleville résume ainsi la situation:

La nomination de M. CP de Fleurieu à la place de gouverneur du prince royal fut différée jusqu'à la fin de mars. Le roi en informa l'assemblée par une lettre qu'on envoya sur-le-champ à un comité...
J'avais observé à sa majesté qu'il fallait installer M. de Fleurieu sans attendre le rapport du comité, afin que l'assemblée n'imaginât pas que la constitution lui donnait à cet égard des pouvoirs plus étendus que pour la nomination des ministres, où elle n'avait point le droit de contrôle. Je représentai aussi à M. de Fleurieu que s'il ne prenait pas immédiatement possession ,la prérogative du roi serait attaquée, parce que les délais encourageaient les prétentions de l'assemblée.
On négligea toutefois mon conseil. M. de Fleurieu n'avait point d'inquiétude à cet égard. Il avait fait sonder quelques membres du comité qui seraient montrés très disposés en sa faveur. Le rapport devait se faire dans la semaine, et il ne paraissait pas redouter de grands obstacles. Il arriva cependant, comme je l'avais prévu, que sous différents prétextes on différa le rapport de semaine en semaine,et qu'il ne fut jamais fait ; de façon que la nomination de M. de Fleurieu ne produisit point d'autre avantage que celui d'empêcher l'assemblée de choisir un gouverneur au prince royal. Au reste, il fut heureux pour M. de Fleurieu de n'avoir pas pris possession de sa place avant le 10 d'août, car il aurai très probablement été du nombre des illustres victimes qui périrent dans cette journée, et la France aurait perdu en lui un homme recommandable par ses lumières, ses talents et la pureté de ses principes."

Le récit de Molleville signalant le fait que Fleurieu n'avait pas rejoint son poste de gouverneur est cependant contredite par les mémoires de la fille de Charles-Pierre de Fleurieu: Louise-Camille-Charlotte..[2]

 


Massacre des suisses le 10 Août 1792.

On sait également que pour éviter d'être massacré par les factieux, Louis XVI s'est réfugié à l'assemblée nationale, suivit par les derniers fidèles, dont Charles-Pierre Claret de Fleurieu. Récit par M. Hüe:

"Louis XVI a donc quitté le palais des Rois, il l'a quitté pour jamais! Et dans quel lieu alla-t-il chercher la sûreté! .[1] Quelques serviteurs fidèles entourèrent la famille royale:

Le Roi fut accompagné de ses ministres, au nombre de six, et de MM. le prince de Poix, le duc de Choiseul, les comtes d'Haussonville.de Vioménil, d'Hervilly, de Pont-1'Abbé, le marquis de Briges, le chevalier
de Fleurieu, le vicomte de Saint-Priest, le marquis de Nantouillet ; MM. de Fresnes et de Salaignac. Ecuyers de main du Roi, et Saint-Pardoux,écuyer de main de Madame Elisabeth. La marquise de Tourzel accompagnait Monsieur le Dauphin."

Encore plus de détails nous sont donnés par M J Baudrier:

"La fille de Charles Pierre de Fleurieu dans ses mémoires, nous conte, entre autres choses, que sa mère, âgée de seize ans, avait accompagné aux Tuileries, le 10 août 1792, son mari, alors gouverneur du Dauphin[2]  et qu'il donnait le bras à la reine Marie-Antoinette pour la conduire dans ses appartements, lorsque le premier coup de canon fut tiré contre le château. La reine effrayée se retira auprès de Louis XVI. Mme de Fleurieu, revêtue d'un costume de femme de chambre, fut reconduite à son hôtel, 18, rue Taitbout, par un laquais sans livrée. Le chevalier de Fleurieu accompagna le roi à l'Assemblée nationale où on ne le laissa point pénétrer. Louis XVI lui envoya, de sa prison, une gravure le représentant au Temple."

Ainsi se quittèrent Charles-Pierre et son ami Louis.

 

Louis XVI au temple.

 

 

 [1]  Hüe parle ici de l'assemblée nationale, à l'époque hostile au Roi, c'est d'ailleurs elle qui trahira le Roi en le faisant arrêter alors qu'il s'était placé sous sa protection.

[2] Selon elle, Charles- Pierre aurait bien rejoint son poste. Ce qui est la thèse la plus probable car de nombreux éléments concordent dans ce sens, en particulier le fait que Fleurieu soit resté aux tuileries jusqu'à la fin.  Le portrait du Dauphin offert par le Roi à Fleurieu avec la mention "Gouverneur" laisse également penser que ses fonctions étaient bien prises. Molleville pense que Fleurieu n'était pas gouverneur car il aurait été nécessairement présent et tué le 10 août si cela avait été le cas. Pourtant Charles-Pierre y était, le 10 août! Et  il n'y a pas de doute là-dessus car M Hüe, premier valet du Roy le confirme, ainsi que la fille de Fleurieu.

La présence de Fleurieu aux tuileries le 10 août s’explique donc par son poste de gouverneur du Prince Royal qu'il a rejoint sans attendre que l'assemblée finisse de se démêler de ses intrigues grotesques. Ce qui est certain aussi, c'est que Fleurieu a réchappé de peu aux bouchers en allant à l'assemblée avec Louis XVI.

 

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